lundi

Entretien avec Michel Onfray

Michel Onfray est un philosophe qui détonne dans le paysage intellectuel français. A seulement quarante-neuf ans, ce passionné de littérature (L’Antéchrist de Nietzsche et Surveiller et punir de Foucault trônent tumultueusement sur son chevet) a déjà écrit plus d’une trentaine de livres. Presque tous sont sujets à polémiques et à débats, et cette caractéristique fait la richesse et le succès de cette bibliographie. Né dans une famille modeste d’Argentan, « Je sais ma fibre anarchiste depuis mes plus jeunes années » écrit-il en introduction de Politique du Rebelle. Cette précocité s’affirme des son entrée dans un orphelinat salésien (lire pédophile dans la langue de l’auteur du Traité d’athéologie) ou il fut placé, « étrange paradoxe » par ses parents. Il n’est pas timoré, il n’a pas la langue dans sa poche, il n’est pas perclus dans la mouvance centriste, très en vogue ces derniers temps, l’homme que Jean et moi avons rencontré lundi dernier à Caen. Comme Glorfindel, il pourrait dire dans le flegme et l’ironie qui l’habite en permanence, qu’être dans le vent n’est qu’une ambition de feuille morte. Non, décidément cet homme n’a rien perdu de ses idées radicales et de son exigence de résistance à la société libérale qu’il abhorre. Depuis L’art de jouir, ou La Sculpture de Soi, l’écrivain jalonne pour les générations futures sa philosophie hédoniste et athéiste. Lors de la dernière campagne présidentielle, on lui a proposé à maintes reprises d’endosser le rôle de leader et donc de candidat de toute la gauche anti-libérale, il a gentiment refusé le cadeau empoisonné. Il préfère laisser aux « nouveaux philosophes » le loisir de s’agglutiner, jusqu’à l’absurde, au pouvoir, car lui ne cherche qu’à « créer des occasions individuelles ou communautaires d’ataraxie réelle et de sérénités effectives » comme il l’écrit dans La puissance d’exister, cette fois-ci, en conclusion.

Le philosophe « le plus lu de France » (sic) nous a accordé un entretien de trois quarts d’heure dans sa loge du Théâtre d'Hérouville Saint Clair juste avant son cours de « Contre-histoire de la philosophie* » dans une aménité sincère et avenante pour les deux bourlingueurs ingénus que nous sommes.

*Dans le cadre de l’Université Populaire de Caen et qui rassemble, chaque semaine, près de six cents personnes dans un amphithéâtre plein à craquer. Ces cours sont d’ailleurs régulièrement diffusés sur France Culture**.

**http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions_ete/caen/archives.php



_ « Vous avez, en 2002, créé l’Université Populaire de Caen, ce faisant quel était votre but ? »

Michel Onfray : _ « J’ai quitté l’éducation nationale, cette année là en Juin, parce que j’en avais marre de la police de l’éducation nationale (les inspecteurs, les collègues, la direction, etc.…). Mais j’aimais bien transmettre. J’aimais bien mes élèves. J’ai été vingt ans prof dans un lycée technique, et je trouvais ça très bien de pouvoir transmettre de la philo en cours, même sur le principe classique du prof préparant les élèves en classe. Donc j’avais envie de quitter l’Education Nationale, mais j’avais toujours envie de transmettre. Et à l’époque Le Pen venait d’être élu candidat du second tour avec Chirac, et j'ai été très sollicité par les intellectuels parisiens pour pétitionner, appeler à voter Chirac, et crier « le fascisme ne passera pas », etc. Moi je ne suis pas libéral, ni libéral de droite, ni libéral de gauche. Donc les libéraux de gauche peuvent bien appeler à voter Chirac, ça ne leur posera pas trop de problème, mais moi non. Je n'ai jamais voté à droite, je n’allais pas commencer à le faire. Ces gens là, cette espèce de fausse gauche est responsable de la situation dans laquelle on se trouve. Il n’y a plus de gauche, ils ont détruit la gauche. Et moi, je ne voterai pas Chirac, qu’il le fasse puisque le problème ce n’est pas de savoir si Chirac sera élu ou pas, c’est de savoir s'il sera élu avec 80% ou 60%. L’enjeu c’était ça, donc j’ai dit : « je ne vote pas ». Ceci dit, je n’ai pas voulu dire non plus :"ne faisons rien, contentons nous de protester", non, je me suis dit que je vais faire quelque chose, et on verra ce que cela donnera. Mais si chacun dans son coin faisait déjà quelque chose, ce serait une façon de faire la révolution sans faire la révolution, sans prendre le pouvoir. Et j’ai donc réactivé le principe de l’université populaire, qui avait été inventé en 1898 par Georges Deherme au moment de l’affaire Dreyfus. Car il me semblait que Le Pen au second tour, cela ressemblait étrangement à la configuration de l’affaire Dreyfus avec l’antisémitisme qui ne gênait plus personne, enfin je trouvais cela très problématique. J’ai créé ça tout seul à Caen et puis quelques amis m’ont rejoint et ça a été un succès tout de suite. J’ai donc pu donner des cours librement, gratuitement, bénévolement, en gardant le principe de la transmission comme je faisais au lycée, en me disant que je transmets mais en même temps il n’y a pas besoin de préparer un bac, ni d’enseigner des matières officielles, ni besoin non plus de respecter un programme. Et j’ai fait une histoire de la philosophie qui n’est pas une histoire de la philosophie, mais qui est, depuis six ans que ça dure, l’occasion de montrer que l’hédonisme n’est pas ce que les gens disent habituellement, ou ce que la critique propose habituellement. L’hédonisme, on dit que c’est la jouissance c’est le plaisir, et puis ce ne serait qu’essentiellement ça et rien d’autre. Je dis, pas du tout. Il y a une dimension éthique, esthétique, politique, métaphysique, et ontologique. Bref, Il y a une histoire de l’hédonisme et je vais la faire cette histoire de l’hédonisme. On démarre avec Démocrite, et puis on finira avec le dernier hédonisme récemment mort au XXe siècle.»


_ « Comment organisez vous vos cours, chaqu'un d’entre eux est-il unique ? »

Michel Onfray : _ « Oui, je ne refais jamais le même cours. Chaque heure de cours me demande une trentaine d’heures de travail. J’ai fait l’antiquité lors de la première année, lors de la seconde j’ai fait de la naissance du Christ jusqu’à Montaigne. La troisième année le XVIIe, la quatrième année le XVIIIe, et l’an dernier cette année et l’an prochain je fais le XIXe. Pour chaque année il y a un livre, et deux coffrets de treize cd. Le dernier étant Les Ultras des Lumière, et le prochain, qui parait dans un mois ou deux, sera L’eudémonisme social, toujours à la rubrique Contre-histoire de la philosophie. »


_ « Que reprochez vous au système scolaire traditionnel ? »

M.O : _ « Je pense que dans un système scolaire ou universitaire on reproduit le système scolaire et universitaire. On n’enseigne ni la subversion, ni l’anarchisme, ni l’hédonisme. Dans vingt-cinq siècles d’histoire des idées, on prélève ce qui est intéressant, on vous enseigne les idéalistes, les spiritualistes, Platon, Descartes et Kant, on vous enseigne des chrétiens, des catholiques, en somme des gens qui ne sont pas bien dangereux pour le système. On ne peut pas faire l’économie de Marx, parce que c’est une occasion de comprendre le XXe siècle, mais vous n’y trouverez pas beaucoup d’hédonistes, d’eudémonistes, de sensualismes, de matérialistes, d’anarchistes (il n’y en a pas). Ainsi vous avez Tocqueville, mais pas Proudhon. Pour le XVIIIe siècle, vous avez Rousseau, mais pas La Métrie, Descartes mais pas Gassendi, etc. Des philosophes que l’on n’enseigne pas parce qu'il y a une liste officielle, qui est faite car il y a des intérêts à traiter ces questions là plutôt que d’autres questions. C’est normal, l’université d’aujourd’hui a été construite au XIXe siècle, avant cette date c’est l’Eglise qui la fabrique, et à cette période là c’est l’espèce de République laïque et déiste, qui fabrique son programme en prélevant et en disant plutôt cette œuvre là que celle là. Il y a ainsi des intérêts idéologiques qui ont présidé à la liste comme il y a des intérêts idéologiques qui président aux questions, et aux programmes officiels. Ce n’est pas étonnant par exemple si vous avez Platon en livre de poche, en édition savante, en pléiade, ou enregistré sur cd lu par n’importe quel acteur professionnel. Et que vous n’aviez rien sur Aristide de Sirène, dont j’ai fait l’édition, bien que je ne sois pas universitaire. Les présocratiques, c’est pareil, c’est une catégorie fabriquée par l’université pour faire une espèce de grand sac et dire qu’il y a des présocratiques, on en fait un gros volume de pléiade, et puis on dit tous ces gens là précédent Socrate, ce qui est faux. Démocrite est considéré comme un présocratique et survit quarante ans à Socrate par exemple. Il y a donc eu des intérêts idéologiques à nommer ces auteurs, présocratiques.


_ « Ces circonstances sont-elles valables également pour l’enseignement destiné aux lycéens ? »

M. O : _ « Oui, elles sont encore plus valables pour le lycée que pour l’université. Car la finalité d’une classe de philosophie au lycée c’est la copie de bac avec son coefficient. Il ne s’agit ni de faire des philosophes ni même des individus qui pensent, contrairement à ce qu’on dit il ne s’agit pas de faire penser. Il s’agit de dire des gens ont pensé, ils s’appellent untel, etc. Mais on ne nous invite pas à penser personnellement, on vous dispense même de le faire. On vous pose une question technique, et on vous demande d’y répondre d’une manière particulière, avec une introduction, une problématique, un plan en trois parties, une conclusion, etc. C’est donc un exercice de dressage à partir de l’histoire de la philosophie mais ce n’est sûrement pas un exercice philosophique. »


_ « Que reprochez vous principalement aux universitaires ? »

M.O : _« J’ai refusé d’être universitaire, les gens disent souvent que je suis dans le ressentiment mais quand j’ai soutenu ma thèse à Caen, ma directrice de thèse m’a demandé d’entrer à l’université et j’est volontairement refusé. A l’époque j’étais déjà au lycée technique, et j’y suis donc resté, par décision, pendant vingt ans, notamment par désir d’écrire librement. Les profs d’université écrivent des livres sur l’histoire de la philosophie, pas des livres de philosophes, ni de philosophie. Un professeur d’université, aujourd’hui, c’est quelqu’un qui passe sa vie sur un seul sujet, ce sont des médecins spécialisés dans leur discipline. Cela ne m’intéresse pas, je ne suis pas quelqu’un qui a dit qu’un jour j’allais travailler kierkegaard sur toute mon existence, que je serais le spécialiste de Kierkegaard, que je ferais des colloques sur kierkegaard, que j’écrirais des livres sur Kierkegaard, que j’écrierais des articles sur kierkegaard, que je ferais des cours, que je dirigerais des mémoires, que je ferais des thèses, voire un bulletin de l’association des amis de kierkegaard. Non, cela n’est pas dans mon style. »


_ « Quels sont les origines réelles de ce concept d’université populaire et quelles en sont les variantes ? »

M.O : _« C’est George Deherme qui en est le créateur en France. Et il y a eu dans les pays nordiques des traditions d’université populaire, plutôt faite par des pasteurs. Car le culte protestantisme, dans la mesure où c’est une religion qui invite à lire directement la bible, a créé des cercles de réflexions, qui étaient l’occasion d’université populaire dans le sens large du terme. Mais ça n’a pas donné la même chose en France ou tout s’est effondré avec la guerre 14-18. Il y a des gens qui ont continué à s’appeler université populaire et qui ont fait des espèces d’associations dites socioculturelles. Et puis il y a moi qui apparaît en 2002 en disant, reprenons le concept de 1898, laissons de coté ce que ça a donné sur le terrain associatif et puis fabriquons cette proposition politique de résistance au libéralisme ambiant et comme disait Diderot : « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ». »


_ « Sur quoi insistez vous le plus : donner des cours ou faire naître un débat ? »

M.O : _« C’est l’agencement qui m’intéresse. La première heure est un cours, la deuxième est un commentaire du cours. Si il n’y avait que l’une des deux parties, ce serait sans intérêt. La première heure serait alors une espèce d’équivalent d’université, et la deuxième heure, du café philo. Le cour d’université sur lequel on n’a rien dire, puisque on y vient, on le note, on repart, on l’apprend, et puis en fin d’année on régurgite, ça ne m’intéresse pas. De meme, le débat type café philo où l’on parle, en élisant les questions qu’on va traiter, ce n’est pas de la philo non plus. Ce n’est parce que vous aurez bavardé en citant Spinoza que vous aurez philosophé. L’idée en revanche que vous puissiez dire : j’apporte un contenu, et à partir de ce contenu on va faire une autre heure, qui sera interactive pour le meilleur et pour le pire est intéressante. Il y a des gens qui posent des questions qui n’ont rien a voir avec le cour, ça c’est le pire, et puis le meilleur ce sont des gens qui posent des questions, parfois techniques, mais qui sont l’occasion de repréciser quelques chose ou de ramener un éclairage différent a partir d’une autre position philosophique. »


_ « En était-il de même dès 1898 ? »

M.O : _ « A l’époque il s’agissait de répondre à la question de l’antisémitisme par un genre philosophie des Lumière. En gros, Deherme disait : les gens sont antisémites car ils ne sont pas éclairés, ils ne sont pas informés, parce qu’ils n’ont pas accès à la culture. « L’antisémitisme est une passion » dit Sartre, et on lutte contre les passions avec la Raison. Donc donnons des cours à ces gens là, et puis on supprimera l’antisémitisme, les gens comprendront que ça n’a aucune raison d’être. C’était une façon d’envoyer l’intellectuelle au contact de la classe ouvrière pour utiliser le vocabulaire de l’époque. Mais c’était surtout, et c’est probablement pourquoi cela a échoué, l’occasion de certains profs du genre Alain, ou Bergson, de venir, d’enseigner quelque chose, puis de repartir et laisser les ouvriers un peu dans l’expectative. Parce que cela leur tombait du ciel, et ça n’avait aucun intérêt, aucune relation avec leur quotidien. Cette façon de dire on vas vous donner de la culture puis après on rentre chez nous, ce n’était pas très intéressant. D’où l’exigence d’interactivité. »


_ « Au-delà de celle de Caen, vous avez très récemment, créé l’Université Populaire du Goût à Argentan, quels en sont l’origine et le principe ? »

M.O : _« C’est une autre aventure. C’est un ami licencié, il travaillait dans une usine et s’est retrouvé à la porte, qui a retrouvé un travail dans la réinsertion au sein d’un jardin abandonné. Il a vu ainsi que les gens avaient beaucoup de problème, ils récupéraient les légumes, mais ne savaient pas les cuisinz. Et c’est comme ça que l’idée de donner des cours de cuisine est arrivée. On a lancé ça avec des grands chefs, grâce à Marc de Champérard qui est critique gastronomique et qui m’a mis en relation avec eux. Ils sont venus afin d’expliquer ce qu’on pouvait faire. Et là on a été assez débordé, car 600 personnes tous les soirs, ce n’est pas du tout ce qu’on avait prévu au départ. Nous allons donc proposer à ces gens là quelque choses de plus restreint, a quoi on va ajouter un séminaire sur l’histoire des légumes, mais aussi sur l’anthropologie, sur la musique, sur le cinéma. Car le principe c’est le goût, et c’est d’éduquer au goût : savoir regarder, savoir écouter, savoir sentir. »


_ « Le fait que vous aillez créé une université populaire signifie-t-il que vous considérez que les maux de la société actuelle ne sont guère atténués depuis 1898 ?

M.O : _ « Le problème n’est plus l’antisémitisme. Je ne crois pas que la France soit antisémite. Fabius est clairement juif et a été premier ministre, de même Sarkozy n’a jamais caché ses origines juives et il est chef de l’état. Jamais personne n’est descendu dans la rue en trouvant inadmissible de voter pour Sarkozy pour autant. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’antisémitisme en France, mais l’antisémitisme qui a fait qu’il y a eu des persécutions, c’est à dire l’interdiction notamment d’être un citoyen a part entière, n’existe plus. Il y a aujourd’hui des problèmes plus complexes que cela, notamment a travers le fait que les juifs sont rendus responsables de la situation dans les territoires palestiniens, mais ce ne sont plus les mêmes et cela ne fait pas un climat antisémite. Auswitch, dans ce sens là, a été une leçon de l’histoire, que les gens ne s’avisent pas de reprendre à leur compte. Mais je pense simplement que le fait gênant est que Le Pen soit présent au second tour alors que lui est antisémite, lui est négationniste, lui est révisionniste, et c’est son populisme et sa démagogie qui ont pu le faire arriver là. Car une large partie de son électorat n’est pas antisémite. Les millions de gens qui ont voté pour lui, ne pensent pas tous que « les chambres à gaz sont un détail de l’histoire », ou que « l’occupation n’a pas été si problématique que ça ». Les gens qui votent Le Pen sont des gens fatigués, épuisés, dont on ne s’occupe pas, que l’on a laissé à la dérive et que la gauche n’a pas soutenu et défendu. Que Chirac, qui était un candidat quasi-mort, soit devenu un candidat élu avec 80%, m’a fait dire que cette situation était totalement délétère. On ne peut pas du tout superposer la France de l’affaire Dreyfus et la France de Le Pen au second tour, mais on était quand même dans un état moral, mentale, psychique, politique assez nul. C’était un moment sombre dans l’histoire de la démocratie française. »


_ « Quelles ont, d’après vous, était les causes de ce 21 avril 2002 ? »

M.O : _ « Il y a des raisons multiples. L’une des raisons majeures c’est probablement le renoncement de la gauche à être de gauche. Quand la gauche est arrivé au pouvoir avec Mitterrand en 1981, et qu’en en 1983 elle a cessé d’être de gauche, c’est à dire quand cette gauche mitterrandienne s’est mise a défendre les valeurs de l’argent, de l’entreprise, ou quand Bernard Tapie et devenue un héros de la gauche, et quand on a défendu l’Europe libérale, qu’on est allé vers l’Euro. Il est bien évident que Giscard ou Chirac aurait fait cette politique là et que finalement il n’y avait plus de gauche. Un tas de gens qui soufraient, qui n’avaient pas d’argent, pas de travail, qui était dans le chômage, la misère, et qui en plus de ça voyaient l’arrogance et la suffisance des gens qui faisaient fortune a l’époque ( les traders, les spéculateurs, etc.…). Ces gens ont commencé a se dire qu’ils n’allaient pas voter a droite, mais pas a gauche non plus, car c’est tous les mêmes, tous des pourris. Coluche arrive, en disant qu’il veut se présenter en candidat, et d’un coup il a 15% d’intention de vote ! Tout cela signifie le malaise. Puis il y a Le Pen qui arrive, et qui dit reprend les termes de « pourris », « la bande des quatre », etc., et ce discours plait. On peut ajouter la collaboration des journaux à ce processus là, qui nous indiquent qu’il faut être libérale, qu’il faut voter oui a l’Europe, qu’il fallait être pour l’euro, que quiconque qui n’était pas libérale était un communiste, un stalinien, un crypto fasciste, un nazi en puissance, un antisémite en puissance, etc., en faisant la morale a ces gens qui soufraient, qui disaient simplement leur malaise. Donc les journalistes sont responsables, les philosophes aussi, si tenté qu’ils aient un pouvoir. Les « nouveaux philosophes », ces tontons maniaques ont mis leurs plumes au service de ces gens là, avec par exemple le journal Globe dans lequel BHL, Glucksman, Alain Minc, ou Compte-Sponville ont donné leur aval à tout ça. Quelques uns sont resté a coté, en disant que la philosophie doit rester un travail critique, tel Foucault, Bourdieu, Dérrida, mais il sont hélas tous morts, cette génération critique
n’est plus. Actuellement dans le paysage politique, intellectuelle et philosophique français, les trois quarts défendent le libéralisme. Les anciens mitterrandistes sont franchement passés au sarkozysme tel Glucksman, Attali, ou Bruckner, même BHL quoiqu’il en dise, il n’a voté ségolène Royal que par soucis d’occupation stratégique de la gauche libérale. »


_ « En 1997, dans Politique du rebelle, vous avez fustigé les « nouveaux philosophes » pour avoir délaissé la misère autochtone, notamment de la classe ouvrière, au profit de grandes causes humanistes, peut être plus glorieuses, à l’internationale (tel que le génocide rwandais, ou le sort du Kosovo), portez vous toujours le même regard la dessus ? »

M.O : _ « Oui, car c’est toujours très facile de s’enflammer pour les tchétchènes. Je suis en train de lire le livre écrit par Gluksman et son fils (Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy, ndlr). Ce dernier n’en a que pour le Rwanda, et le père n’en a que pour les tchétchènes ( jadis c’était la Bosnie), ce sont des combats qui me paraissent effectivement fondés, mais voila des gens qui sont capables de pousser des cris, de mobiliser copains et amis, de faire des soirées à la Mutualité, de remplir des pleines pages dans le Monde pour dire que ce n’est pas bien de tuer des gens à Tigali, on est a peu près d’accord la dessus normalement, mais qui jamais ne signent une pétition pour le combat avec les sans papiers, ou les chômeurs. On n’a pas vu BHL au canal St Martin ! On n’a pas vu Glucksman dans des immeubles squattés par des gens soutenus par le droit aux logements ! Cela me paraît évident que ces gens là considèrent qu’il y a ce que j’appelle une « misère propre », le fait des droits de l’homme planétaire et une « misère sale », qui ne les intéresse pas, la misère du prolétaire, la misère du quotidien, la misère des gens simples, qui ne semble pas les concerner. Et le mépris de ce que je nomme la « misère sale », génère par la suite le succès de Le Pen. Car lorsque c’est le seul qui dit, j’entends votre souffrance pendant que les philosophes parlent du Rwanda, Tigali, ou de la Tchétchénie. On se demande : qu’est ce que c’est que ces philosophes ? Que sait BHL de son Riad à Marrakech du panier de la ménagère, et de l’augmentation du coût de la vie ? Il ne faut pas ensuite s’étonner que les gens aillent dans les bras des démagogues comme Le Pen jadis, puis comme Sarko aujourd’hui. Maintenant les gens commencent à s’en rendrent compte, et sa cote s’effondre considérablement mais il reste quatre ans, et il ne va rien faire, ça parait évident. Si il avait eu des choses à faire, il les aurait faites pendant les six premiers mois. Ce qui n’a pas été fait ne sera plus fait donc la conjonction est bonne pour Sarkozy, parce que Le Pen est vieux, fatigué, usé, vieilli, physiquement hors course et que la fille n’a pas le même charisme. Mais je pense que ses idées ne sont pas mortes. »


_ « Ces « nouveaux philosophes » ont, en majorité, marginalisé la crise des banlieue de 2004, en ce qui vous concerne, quel point de vue avez-vous sur cette embrasement, et de manière plus générale sur la politique actuelle que mène Nicolas Sarkozy ? »

M.O : _ « Sur les banlieues, il y a un concept intéressant chez Marx, qui est celui de sous-prolétariat. Il y a les prolétaires, ces gens qui ne disposent que de leur force de travail et qui la louent pour avoir juste de quoi survivre. Et sous ce proletariat, il y encore une classe, c’est le sous-prolétariat, et c’est cette classe qui s’est manifesté dans les banlieues. Il faut en faire la sociologie, car ce ne sont pas nécessairement des gens pauvres, ce sont des gens qui font souvent des petits trafics, qui sont dans des logique de caïdat, qui parfois animent ou participent à des tournantes, ils sont extrêmement misogynes, et extrêmement phallocrates. Ils ne sont pas des athées qui défendent la philosophie des lumières, ça c’est clair. Ce sont des gens qui n’aspirent qu’à la société de consommation, à la belle bagnole, aux belles chaussures, au dernier mp3, et qui sont dans un nihilisme total parce que c’est sans espoir, ils savent bien qu’ils ne peuvent pas passer leur vie à dealer comme ça, et que si ils veulent un jour se marier, avoir des enfants, ils ne peuvent jouer à cache-cache avec les flics, rester à ne rien faire et simplement risquer de se prendre une balle dans la peau un jour de règlement de compte. Donc ils n’attendent rien de la République, rien de la police, rien des pompiers, rien d’un président de la république, rien de la classe politique… Ils n’attendent rien de personne et de temps en temps ils font une espèce de fête noir, c’est à dire ils foutent le feu. Ils foutent le feu à des écoles, à des abris de bus, à des poubelles, à des voitures… Je crois que c’est la plainte du sous prolétariat, qui lui même est le déchet du libéralisme, le déchet qui singe le libéralisme. Ce ne sont pas des gens qui veulent la révolution, ils ne veulent d’ailleurs ni le partage, ni l’égalité, ni la fraternité, ni la déclaration des droits de l’homme. Ce ne sont pas leurs revendications, d’ailleurs ils ne revendiquent rien. Si ce n’est qu’on leur laisse faire leur bizness tranquille, sans les emmerder. C’est la tumeur, je pense, d’une société libérale.
Et puis en ce qui concerne Sarkozy, on a bien vu que son programme n’était qu’un ensemble d’effets d’annonces : « Il faut », « il faudra », « on fera », « karcher », « je vais vous débarrassez de toutes cette racaille ». Et puis on voit qu’il ne fait rien parce qu’il n’a rien à faire quand on est dans une logique qui consiste à entretenir le système, si le système produit ce genre de tumeur, il faut toucher au système, et lui n’y touchera pas puisqu’au contraire il accélère ce processus. Et c’est toujours plus d’argent, toujours plus de richesse pour les riches, et de pauvreté pour les pauvres, ce à quoi il ajoute de l’insolence, en augmentant son salaire de 200% et vous, bah vous n’avez qu’a creusez ! Et maintenant avec sa cote de popularité qui tombe, on est dans une situation problématique, on est dans des lendemains de cuites, les gens se réveillent en disant : Bon on y a cru, est ce qu’on a eu raison d’y croire ? A quoi on ajoute le tempérament psychologique voire psychiatrique du personnage… »

_ « Que souhaitez vous à la gauche afin qu’elle s’émancipe de ce libéralisme, et qu’elle puisse un jour revenir au pouvoir ? »

M.O : _ « C’est compliqué la gauche. Il y a plusieurs questions dans votre question, quand vous dites la gauche, moi je dis les gauches. Il y a une gauche libérale, je lui souhaiterais de cesser de l’être, et de redevenir la gauche, à nouveau. Mais il ne faut pas compter sur Ségolène Royale pour ça, ni sur Delanoë d’ailleurs. On voit mal qui pourrait prendre la tête du PS pour infléchir à gauche ce parti qui est libérale, et qui sait que la gestion de la France se fait au centre et dans la logique libérale. Les autres gauches, qui sont anti-libérales, je les ai approchés un petit peu, de loin, mais elles restent sectaires... »

_ « Vous avez d’ailleurs, pendant la campagne présidentielle, regretté qu’elles ne se soient pas rassemblées … »

M.O : _ « Oui, c’était le moment ou jamais, et ça ne s’est pas fait. Les municipales étaient également l’occasion de faire cette alliance et elle ne s’est pas faite non plus. Besancenot lance un grand parti anti-capitaliste… mais pour après les municipales. Il a loupé l’occasion de surfer sur son score des présidentielle en allant très vite et en faisant des listes d’union de la gauche anti-libérale dans toutes les municipalités. Le bulletin municipale aurait rendu possible l’entrée de cinq ou six personnes régulièrement voire de beaucoup plus dans des conseils municipaux, ce qui aurait été l’occasion de démarrer une vraie conquête. Mais ils sont tous empêtrés dans leurs histoires de personnes, de partis, et de sectes.
La troisième question dans votre question, j’y réponds en vous disant que, moi, je crois que l’on peut faire de la politique en dehors des partis, et l’Université Populaire est l’occasion de faire de la politique. Le fin mot de l’affaire n’est pas de prendre le pouvoir, mais celui de créer et de multiplier les zones de résistances au libéralisme. »



Propos recueillis par Jean et Romain (« 2 flics en Normandie »). A titre personnel je remercie mon enregistreur microcassette Olympus qui m’a honteusement lâché au bout de vingt minutes d’interview.